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Horten Ho 229
L'Histoire inachevée
Texte et photos : laurent.schmitz@jivaro-models.org
Février 1945. L'Allemagne nazie teste
un avion à réaction révolutionnaire : le Ho
229. A ce stade du conflit, le destin du 3e Reich est heureusement scellé
depuis longtemps et le nouvel appareil n'aura jamais l'occasion de faire
ses preuves. On ne peut qu'imaginer le potentiel de cette nouvelle "Wunderwaffe"…
Cette histoire débute bien sûr avec un modèle réduit
sur l'établi. Après mon DC-3
de 2 m d'envergure, je m'attelle cette fois au montage d'une maquette
statique en plastique, le kit "Zoukei-Mura" du Ho 229 au 1/48.
La firme japonaise "haut de gamme" propose un concept inédit
sur le marché en reproduisant la structure interne de l'avion.
L'idée est d'immerger le maquettiste dans les solutions et l'ingénierie
de l'appareil, pour l'imprégner de l'esprit et de l'âme
de l'original. Pour quelqu'un qui aime concevoir des modèles
réduits volants, monter un tel kit est à la fois un challenge
et une "madeleine de Proust" : du pur plaisir aéronautique
concentré à l'échelle.
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Le prototype V3 préservé aux USA. |
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Image du modèle superposée à
une photo d'époque du Ho 229 V3. |
La boîte elle-même a une histoire car je l'ai achetée
en 2019 au quartier-général de Zoukei Mura à Kyoto,
après avoir abandonné ma femme dans l'un ou l'autre temple.
Je ne pouvais tout simplement pas visiter cette ville sans passer par
cette boutique. Accueil sympa par le patron, qui ne reçoit pas
tous les jours la visite d'un petit Belge. Je venais surtout pour un
J7W Shinden au 1/48 mais il n'y en avait plus. Voyant ma déconvenue,
le "boss" m'a fait un bon prix pour le Ho 229, ça ne
se refuse pas ! L'arme secrète de la Luftwaffe a donc été
importée dans l'Union européenne, précieusement
dissimulée au fond de mon bagage à main.
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Comme le Ho 229 n'a jamais été produit en grande série,
le kit se base sur l'exemplaire préservé au "Smithsonian
National Air and Space Museum" aux USA. Les japonais ont fait un
travail remarquable car la reproduction est très fidèle.
Un peu trop même puisque la maquette omet certaines pièces
perdues depuis la capture du prototype H. IX en 1945. Par exemple, la
verrière qui se verrouille avec deux manettes n'en possède
qu'une sur le modèle réduit car la seconde est absente
sur l'avion du musée. C'est ballot car le modèle réduit
est supposé représenter un (hypothétique) avion
de combat muni de son armement. Quant au décor (fictif) proposé,
il ne correspond pas vraiment aux livrées constatées sur
les appareils allemands à la fin du conflit. Pour savoir à
quoi ce Horten aurait pu ressembler s'il avait été déployé,
il fallait procéder à quelques recherches et écrire
l'histoire inachevée de cet avion. Un exercice fascinant et plein
de surprises…
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Le prototype V3 à l'assemblage. |
Carnet de notes de Reimar Horten,
dimanche 5 août 1945 |
"Ce matin, je visite
l'usine Gothaer Waggonfabrik qui assemble les appareils de série.
La ville a échappé aux bombardements, en grande
partie grâce aux missiles Rheinland qui occupent les hauteurs.
Depuis que les unités FlaRak ont écarté la
menace à haute altitude, les travaux sur la pressurisation
du 229 ne sont plus prioritaires. L'accent est maintenant mis
sur l'intégration des réacteurs à postcombustion
Jumo 004E car si les gros bombardiers sont moins présents,
les JaBo (chasseurs-bombardiers) sont eux de plus en plus nombreux".
"Je suis rassuré par cette visite. Les
panneaux de fuselage ont été livrés par la
Möbelfabrik Weller de Nürtingen. Leur face interne est
imprégnée d'enduit ignifuge vert au PVC produit
par Herbol-Werke, comme sur les prototypes. La couche en bouleau
qui couvre la mousse de polyurethane inventée par IG-Farben
est superbe. Par rapport au contreplaqué massif fait de
déchets recyclés, nous gagnons presque 250 kg tout
en améliorant considérablement la stabilité
de la structure. Le prix a triplé mais il reste dérisoire
par rapport à l'aluminium si cher à Willy Messerschmitt
! Et désormais, plus de déformations à cause
de la compressibilité aux hautes vitesses ; Walter sera
content !"
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Le fuselage du Ho 229 était fait d'une structure
de tubes soudés couverte d'une "peau" en contreplaqué. |
Ce récit historique "alternatif"
repose sur quelques authentiques réalisations des Allemands
à la fin du conflit, comme les missiles antiaériens,
la mousse de polyuréthane ou le PVC. Mais revenons au Ho
229 sur notre plan de travail :
Cet appareil produit en juin 1945 (Werk-Nr 212004)
a été livré au Erprobungskommando 229 (EKdo
229) au sein du III./JG 6 à Prague-Ruzyne. C'est un des
premiers Ho 229a1. Par rapport aux appareils de présérie,
il est équipé de moteurs Jumo 004D-2, à la
poussée unitaire de 12,7 kN (1.295 kg), 30% plus élevée
que celle du Jumo 004B. Ces réacteurs, disponibles à
partir de mai 1945, possédaient un système d'injection
de carburant à deux étages et un nouveau contrôleur
de flux. L'usage de métaux "stratégiques"
recyclés, rendu possible par le remplacement généralisé
des moteurs à explosion au profit des "Düsenmotoren",
permettait un plus haut régime et un taux de compression
supérieur, tout en améliorant considérablement
la fiabilité. Outre leur motorisation moderne et des ailes
légères et plus solides que celles des prototypes,
les "Flughunde" de série bénéficiaient
de l'emploi de matériaux légers et performants,
comme les alliages d'aluminium et le magnesium, suite à
la priorité donnée à leur production. Ce
simple changement permettait de ramener la masse à vide
sous les quatre tonnes.
Vu l'importance du Ho 229 (baptisé "Flughund"
dans ce récit), Göring assigne un détachement
de SS à la firme Horten et ordonne que le programme reçoive
la priorité absolue. C'est l'usine Gotha qui doit assurer
la production accélérée du nouveau chasseur. |
Journal de Walter Horten, samedi
18 août 1945 |
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En 1929, Walter et Reimar Horten construisaient
déjà des modèles d'ailes volantes. |
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"Aujourd'hui j'ai terminé
la formation de Melitta sur le Horten VII et elle a réalisé
ses premiers vols à bord du Ho 229 V9. Sa maîtrise
de l'appareil est impressionnante ! Les SS préféraient
Hanna Reitsch mais l'expérience unique de Melitta en piqué
rapide, y compris sur multimoteurs, en faisait clairement le meilleur
choix. Sa formation d'ingénieur est aussi un atout évident.
C'est elle qui a eu l'idée de séparer les commandes
des spoilers. Désormais, ils pourront être sortis séparément
à l'intrados et à l'extrados, grâce aux manettes
bleues de la console de gauche. Cela devrait permettre de conserver
le contrôle en tangage à haute vitesse. Reimar modifie
un Flughund du JG 6. Les essais devraient avoir lieu la semaine
prochaine."
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Fin des années '30, Melitta Schenk
Gräfin von Stauffenberg est une aviatrice et ingénieure
allemande très populaire. Sa contribution au développement
de l'aéronautique lui vaut en 1937 le rang de "Flugkapitän"
(commandant de bord). Le régime nazi n'apprécie cependant
pas son ascendance juive. En 1939 elle est forcée de quitter
son emploi à la Croix Rouge pour procéder aux vols
d'essai des bombardiers en piqué, un travail périlleux
qui lui permet d'obtenir une licence pour piloter tous les avions
de combat du Reich. En 1944, elle dirige l'Institut d'essais en
vol de Berlin quand son mari et ses beaux-frères sont arrêtés
suite à l'attentat contre Hitler. Son travail, jugé
indispensable à l'effort de guerre, lui épargne la
prison. En avril 1945, elle s'envole à bord d'un petit Bücker
Bü 181 pour tenter de libérer son époux du camp
de concentration où il est détenu. Le 8 avril, son
avion est abattu par un chasseur américain. Elle meurt le
même jour de ses blessures.
Dans ce récit uchronique, elle est affectée aux tests
du Ho 229 en remplacement d'Erwin Ziller, mort en février
dans le crash du prototype V2. |
Extrait du magazine américain
"Time", édition du 3 septembre 1945
Interview de Melitta von Stauffenberg,
pilote d'essai pour la firme Horten :
"J'ai décollé de la piste en
herbe de Gotha/Süd à l'aube de ce mercredi 22
août, sous la protection des batteries FlaRak de missiles
Rheinland. Le ciel était assez dégagé
mais il faisait très froid pour la saison. À
part la modification apportée sur les spoilers, mon
Flughund "12 rouge" emprunté au III./JG
6 était strictement de série, y compris les
courants d'air glacé dans le cockpit. Après
une rapide montée et un circuit de calibration pour
le théodolite de mesure, j'ai profité d'une
éclaircie pour entamer le premier passage, depuis
une altitude de 8.500 m."
"À 6h17 j'ai poussé les manettes des
Jumo 004D-2 en butée et piqué sous un angle
de 30 degrés à une vitesse initiale de 960
km/h. Les effets de la compressibilité sont survenus
très rapidement. L'appareil tremblait modérément
mais accentuait son piqué, comme si le trim était
déréglé. J'ai alors contrôlé
l'assiette uniquement à l'aide des spoilers d'extrados.
Après quelques secondes, les vibrations ont disparu
et j'ai remis mon Horten en palier à 6.400 m d'altitude.
Les tailerons répondaient à nouveau normalement,
l'aiguille de l'indicateur de vitesse était en butée
à 1.100 km/h. |
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Les indications du radio-théodolite
ont révélé par la suite une vitesse moyenne
de 1.198 km/h sur la dizaine de kilomètres du passage.
Comme il me restait assez de carburant, j'ai répété
la manœuvre à deux reprises. Le passage le plus
rapide a été enregistré à 7.800
m d'altitude et 1.234 km/h, soit 1,12 fois la vitesse du son
à cette altitude." |
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Bien sûr, c'est une fiction, mais il est indéniable que
le Ho 229 a été conçu pour s'affranchir des problèmes
de compressibilité à l'approche du mur du son. En particulier,
Reimar Horten avait appliqué à son appareil toutes les
recettes nécessaires au vol supersonique :
-
Un rapport poids-puissance suffisant (surtout avec
les réacteurs Jumo 004D produits à la fin de la guerre
et plus encore avec les versions à post-combustion en développement) ;
-
une charge alaire faible associée à
une traînée minimale ;
-
une aile en flèche renforcée et intégrée
("fondue") au fuselage ;
-
un profil d'aile à double courbure (combinant
des caractéristiques autostable et supercritique) ;
-
des spoilers pour le contrôle aérodynamique
à haute vitesse ;
-
...et surtout l'application de la "loi des
aires"!
Contrairement à la croyance populaire, la "loi des aires"
n'a pas été découverte par les américains
après le conflit. Elle a été brevetée pour
le compte de Junkers en mars 1944.
Il est évident que les frères Horten étaient au
courant de cette découverte, qui pourrait bien expliquer la présence
du carénage présent à l'intrados du Ho 229, derrière
l'ouverture du train avant. En effet, cette "bosse" dans le
dessin de l'appareil lui permet de respecter cette fameuse "loi
des aires". Par ailleurs, Reimar Horten avait dès le départ
calculé une vitesse de Mach critique s'élevant à
1.000 km/h, comparable à celles des jets supersoniques modernes.
Il est donc clair que le Ho 229 avait été conçu
pour approcher, voire même franchir le mur du son !
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3 x 1.000 = H.IX
Le Ho 229 est le fruit d'un long développement
par les frères Walter et Reimar Horten. Les Horten étaient
membres du parti nazi, par conviction ou opportunisme. Reimar
a d'ailleurs fini exilé en Argentine, tandis que son frère
Walter restait en RFA, où il servit dans la nouvelle Luftwaffe.
Quoi qu'il en soit, ces deux originaux ont débuté
dans le milieu du vol à voile pendant les années
'30. Reimar concevait les planeurs, tandis que Walter se chargeait
plutôt de la construction et des essais en vol.
Reimar est obsédé par la formule de l'aile volante,
selon lui le seul choix aérodynamique assez "pur"
pour qu'on s'y intéresse. À une époque où
l'Allemagne veut beaucoup d'avions de combat tout de suite, les
frères Horten sont considérés comme des illuminés.
Il faut dire que leurs productions ne ressemblent pas du tout
aux puissantes machines de guerre produites par Messerschmitt
ou Focke-Wulf. Leurs ailes volantes sont faites principalement
de bois et leur assemblage ressemble finalement fort à
celui d'un modèle réduit en balsa.
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La situation désespérée du 3e Reich
à partir de 1943 change la donne. D'un coup, le bois s'avère
acceptable suite à la pénurie de métaux stratégiques.
Quant à l'aile volante, elle promet des performances inédites.
Elle peut aussi facilement s'accorder des nouveaux turboréacteurs
qui remplaceront petit à petit les lourds et coûteux
moteurs à pistons. Göring charge la firme Horten de
réaliser un chasseur-bombardier dans le cadre du programme
"3 x 1.000" : un appareil capable de voler à
1.000 km/h à une distance de 1.000 km avec 1.000 kg
d'armement. Le biréacteur H.IX, prototype du Ho 229, fait
deux premiers vols très encourageants le 2 février
1945 mais est détruit au 3e vol, son pilote empoisonné
par les gaz des réacteurs. En avril les troupes américaines
capturent le prototype suivant presque terminé (celui qui
se trouve maintenant au musée), ainsi que trois autres
cellules à différents stades d'avancement.
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(Northrop Grumman) : Furtif
or not furtif ?
La ressemblance du Ho 229 avec le bombardier
furtif américain B-2 "Spirit" est certainement
troublante. Le Ho 229 était-il le premier avion invisible
au radar? En 2008, des experts de Northrop Grumman ont procédé
pour un reportage du National Geographic Channel à des
mesures sur une réplique de l'appareil et sur des parties
du prototype conservé au musée. Ils n'ont rien
découvert de particulier. La partie centrale faite de
tubes métalliques supportant les deux réacteurs
et l'armement produisait un écho radar conséquent.
Même si du charbon avait été ajouté
à la colle du revêtement en bois, comme Reimar
Horten l'écrit dans son livre "Nurflugel" publié
en 1983, l'avion n'aurait pas été furtif.
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Et en modèle réduit radiocommandé
?
On ne voit pas beaucoup de Ho 229 sur les terrains.
Et pour cause : intégrer deux turbines et un train
rentrant dans une aile volante RC n'est pas une mince affaire.
Comme en plus le vol d'un tel engin n'est pas à la portée
des pilotes débutants, aucun fabriquant ne s'est encore
lancé dans la production d'un kit à grande échelle.
Les quelques modèles "perso" vus à InterEx
par exemple ont pourtant démontré des qualités
de vol correctes et on trouve sur Youtube une vidéo d'un
modèle indoor de 2,40 m et seulement 700 g absolument
bluffant. Tapez "Stunning Indoor Horten" dans la barre
de recherche.
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