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Présentation : Daniel Villa
Quand je dis qu’un planeur
est gratteur, c’est qu’il est capable d’évoluer aisément
dans des petites conditions thermiques ou dynamiques,
de voler relativement lentement et de spiraler à grande
inclinaison dans un mouchoir de poche. Et ce, tout
en proposant un pilotage très facile, même les yeux
fermés, ou presque…
Il faut bien le reconnaître aujourd’hui,
tout le monde parle de plus en plus de planeur gratteur.
Un motoplaneur F5b 27 de 1,60 mètre d’envergure
et d’un peu moins de 2 kilos ou un planeur F3i de
3,60 m et presque 5 kilos sont souvent, d’après leur
utilisateur d’excellents gratteurs ! Houai ? Alors
me direz-vous, pourquoi avons-nous créé la catégorie
F3j, reine de la gratte ? Il va falloir se mettre
d’accord, parce que les novices n’y comprennent plus
rien… Dans des conditions de gratte, le F5b, F3i et
F3j n’ont pas du tout la même aisance ni la même facilité
de pilotage. Il n’existe donc pas de mouton à cinq
pattes. On m’aurait menti ? Alors à chaque domaine,
son outil adapté. Il ne me restait plus qu’à concevoir
un planeur pour le domaine visé. Un planeur agile
et particulièrement gratteur. |
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Caractéristiques
Nom : Entoucas
Envergure : 320 cm
Longueur : 150 cm
Cordes : emplanture 20 cm, saumon 11,5 cm
Profil : emplanture Eppler 205, saumon Ritz 2.30.10
Surface : 55 dm²
Masse : 1500 g
Charge alaire : 27 g/dm²
Equipement
Accus : 4,8 V 2200 mA
Radio : 5 voies 5 servos |
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Ayant cédé comme beaucoup d’entre nous aux profils d’ailes
à la mode, j’en ai tiré quelques conclusions :
Des profils type RG15, Selig 7012 et autres sont très polyvalents
équipés de volets de courbure. Pour en exploiter la quintessence,
il faut vraiment savoir jouer des volets en temps réel,
surtout quand la charge alaire frôle les 60 g/dm². Le revers
de la médaille, c’est que ces supers profils accélèrent
comme des fusées à la moindre diminution de l’incidence
de vol. On est donc loin du planeur au pilotage facile et
confortable. De plus, jouer avec des inters sur sa radio,
ça finit toujours par “foirer” tôt ou tard pour le pilote
du dimanche. On n’est pas tous des as de la gâchette. Alors
pour répondre à mes attentes en terme de simplicité de pilotage
sans prise de tête, je cherchais un planeur que je pourrais
piloter avec une main sur un œil ! Voire les deux mains
sur les yeux ! En clair, un planeur très facile et intuitif.
La fusion parfaite entre un lancé-main 1,50 m et un planeur
F3j de 3,50 m. Un planeur idéal ne décrochant que tardivement,
possédant une stabilité de route exemplaire et un équilibre
en spirale impeccable. Le genre de machine typé Formule
France en somme.
Le choix du profil est primordial pour déterminer le domaine
pour lequel la machine sera conçue. Ce choix a été dicté
par l’expérience du passé et des “tôles” que j’ai pu me
prendre en compétition de Formule France avec des planeurs
justement équipés de profils que beaucoup de concurrents
boudaient parce que soit-disant démodés. Il s’agit du profil
Eppler 205. Ne riez pas, on s’en est pris des “tôles” par
des gosses qui pilotaient des planeurs de début type Spirit
de Great Plane, tout en structure et à la charge alaire
de papillon. Leur donnant un minuscule taux de chute les
jours où il n’y avait pas grand-chose à se mettre sous les
plumes pour se maintenir correctement en l’air. |
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On descendait bien vite à côté, avec nos planeurs
tout “plastoque” équipés de profils “balistiques” qui chutaient plus
vite qu’un chat de gouttière sans parachute.
Mon expérience de réalisation personnelle m’aide aujourd’hui à gommer
au fur et à mesure certains paramètres de vol indésirables. Et comme
une médaille a toujours un revers, il est certain que je serai confronté
à d’autres difficultés résultant de ces avantages. De quoi alimenter
pendant pas mal de temps encore mon petit cervelet en mal de réflexion.
Elle est chouette la vie, non ?
Sur ma nouvelle réalisation baptisé Entoucas (le nom d’un petit village
Indien isolé dans le fin fond de la Guyane française), j’ai opté pour
une flèche inverse du bord de fuite. Les panneaux externes de l’aile
voient leur bord d’attaque parfaitement rectiligne et perpendiculaire
à l’axe de symétrie, tandis que les panneaux internes possèdent eux
une flèche du bord d’attaque d’un peu moins de 5° chacun vers l’avant.
Les foyers des profils ne sont donc pas alignés suivant l’axe de symétrie.
Tout ça dans le but de réduire l’effet dièdre de l’aile. Ainsi, en spirale
stabilisée, l’aile située à l’intérieur du virage aura une envergure
et donc une traînée plus importante que celle qui est située à l’extérieur,
engendrant de ce fait un couple de lacet tendant à resserrer le virage.
Ce qui aura pour conséquence une diminution de l’excursion commandée
du volet de dérive pour maintenir le mouvement en spirale. On devrait
normalement obtenir une diminution de la traînée de ladite gouverne,
une meilleure stabilité en spirale continue non pilotée. Il faut quand
même, pour éviter que tout parte dans les coins, un volume de dérive
permettant un amortissement dynamique correct, sinon gare à la savonnette
!
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La charge alaire de l'Entoucas est très faible.
C'est un planeur parfait pour tester les pentes quand la dynamique
est incertaine ou pour le vol en plaine.
La cellule est mixte : fuselage en bois prolongé d'une poutre en
fibre de verre, aile en polystyrène coffré et empennage en structure.
La géométrie particulière de la voilure est destinée à simplifier
le pilotage, notamment en spirale. |
La construction proprement dite ne pose pas de problème
particulier. Fuselage monocoque prolongé par une poutre en composite.
Aile à noyau coffré et empennages en structure conventionnelle. Cet
amalgame de procédés permet d’associer une bonne répartition des masses
et une résistance mécanique optimisée.
Elle est découpée dans du polystyrène extrudé vert.
Deux cravates en fibre de verre 100 g/dm² sur 600 mm de long sont intercalées
à l’intrados et à l’extrados entre le noyau et le coffrage en balsa
15/10 léger. Juste ce qu’il faut pour que cela travaille en souplesse.
Les nervures d’emplanture sont en contre-plaqué 30/10 pour bien reprendre
les éventuelles contraintes de compression (crash ou atterrissage dur).
Le bord d’attaque est en baguettes de samba 5x12. Le fourreau de clef
d’aile est constitué de flancs en contre-plaqué emprisonnant un tube
en dural de 10,5x12 de diamètre et le volume restant est comblé par
du samba 120/10 et de la résine + microballon. La clef d’aile est en
carbone de 10 mm sur une longueur totale de 200 mm (c’est plus qu’il
n’en faut pour ne pas battre des ailes en vol…). Le fourreau ainsi réalisé
est inséré seulement après que l’aile ait été coffrée, en réalisant
une tranchée par l’intrados de l’aile jusqu’au renfort en fibre d’extrados.
Les saumons sont taillés dans un bloc de balsa. Cette aile sera maintenue
sur le fuselage par des vis nylon M4. La paire d’aile finie avec servos
et entoilage pèse 780 g pour 55 dm², soit 14,2 g/dm². On peut essayer
de faire plus léger, au risque de se retrouver avec des tronçons d’aile
qui se tordent de rire à la moindre accélération.
Le stab et la dérive sont réalisés en structure de
balsa. Les profils sont de type planche pour des raisons de simplicité
et de rapidité de construction. Je suis personnellement convaincu que
l’emploi de véritables profils symétriques améliore de beaucoup le rendement
aérodynamique, que ce soit volet braqué ou non (amortissement dynamique).
Les volets mobiles sont taillés dans une planche de balsa 50/10 léger.
Les bords de fuite sont donc formés à même le “métal”, on ne peut pas
faire plus simple et léger. Tenez par exemple, le stab terminé et entoilé
pèse 32 g, pour 6,45 dm² de surface, ce qui donne moins de 5 g/dm² !
Même en tout plastique on ne pourrait obtenir un tel résultat sans le
risque d’avoir l’impression de manipuler de frêles ailes de papillon.
Ce n’est pas non plus le même état de surface, vous en conviendrez !
Le mât de stab est tiré d’un contre-collage de 2 couches de balsa 80/10.
Il renferme sous sa platine de contre-plaqué 10/10 des écrous M4.
Pour faciliter son collage sur le fuselage, il sera boulonné au stab
et présenté de la sorte le moment venu.
La construction de cette pièce maîtresse fait appel
à la technique de la structure monocoque, à base de lattes de balsa
3x10 sur des couples dégressifs. Le fuselage est assemblé en l’air.
Faites donc très attention pour ne pas vous retrouver avec une vulgaire
banane au final. Disposez dans les couples C5 et C6 la poutre de queue
en fibre composite d’une section avoisinante de 21 à 15 mm aux extrémités
par 1010 mm de long. Disposez sur les côtés les deux flancs en balsa
30/10 permettant le positionnement des autres couples et du renfort
en pin 3x5. Prenez soin à ce stade de faire un repérage du plan de découpe
de la future verrière sur les flancs à l’aide de quatre perforations
de 1 mm aux angles. S’ensuit la mise en place classique des lattes en
balsa 3x10. Après un ponçage permettant de casser les arêtes rebelles,
mastiquez toute la forme à l’aide d’enduit de finition type Polyfilla.
Procédez à un nouveau ponçage. Une fois que l’état de surface vous convient,
marouflez le fuselage de deux couches de fibre de verre 100 g/dm² sans
trop charger en résine. Il faut encore distinguer la trame après imprégnation
du tissu. L’excédant de résine ne renforce jamais un composite ! Après
deux jours de séchage, bouchez la trame de la fibre avec de l’enduit
Polyfilla tout en prenant soin de ne pas perdre les repères de découpe
de la verrière. Repercez-les si nécessaire. Ponçage jusqu’à obtention
d’un état de surface impeccable.
Il est temps de procéder au découpage de la verrière à l’aide d’une
scie à métaux pour l’avant et l’arrière, puis d’un cutter pour attaquer
les parties horizontales en réalisant plusieurs passes dans le matériau.
Ce n’est pas très difficile, mais il faut un peu de patience et de soin
si vous ne voulez pas devoir réparer les crevasses. Normalement la verrière
doit se détacher sans histoire si vous avez pris soin de ne pas coller
entre eux les couples d’assemblage C2/C2bis et C3/C3bis.
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La bulle en
bois est fabriquée en découpant le fuselage. Ici, l'auteur s'est
fait plaisir en moulant par dessus la forme une verrière en carbone.
Pour la rigidité, des tubes de carbone viennent la renforcer. |
Pour compenser le jour de la lame de scie, réalisez
dans du contre-plaqué 10/10 deux petits cadres de 10 mm de large qui
renforceront considérablement dans la foulée le fuselage au droit de
cette ouverture. Conservez la verrière telle quelle, ou sinon vous pouvez
en faire un master pour mouler une verrière en Rhodoïd, ou pour le côté
chic pourquoi pas en carbone ? Dans le fuselage, supprimez les couples
de construction C2 bis et C3 bis, puis marouflez tout l’intérieur entre
C1 et C4 avec une couche de fibre de verre 100 g/dm². Collez les platines
support d’aile. L’assise de l’aile est directement moulée sur l’aile
elle-même, en appliquant une couche de carbone 200 g/dm² de 22x10 cm.
On prépare au préalable la surface avec du ruban adhésif d’emballage,
un peu de démoulant et on y va gaiement. Une fois sec, ne rien décoller,
perforer avec un foret de 4 mm le passage des vis de fixation d’aile
à travers l’ensemble des éléments. Présentez l’aile sur le fuselage
et percez les supports en vous aidant des trous de l’aile. Mettez en
place les écroux à griffes. Procédez ensuite au collage de l’ensemble
à l’époxy 15 minutes en utilisant les vis de fixations M4 pour le serrage.
Veillez à la bonne symétrie de l’ensemble. Pendant que tout est immobilisé,
les empennages peuvent être rapportés suivant le plan.
Enfin, après démontage des vis de fixation d’aile, démouler d’un coup
sec. Normalement l’aile doit se séparer du fuselage. Dans le cas contraire
vous devrez abattre les cloisons de votre atelier pour en sortir et
probablement investir dans un nouveau moyen de locomotion pour vous
rendre au terrain avec votre œuvre d’art ! Bref, arasez tout ce qui
dépasse du fuselage. N’est-il pas beau ce fuselage moulé ? Allez, essuyez
vos larmes d’émotion et passons à la suite.
Pas de solution miracle pour l’Entoucas, ça va être
rapide : le fuselage reçoit une couche d’aprêt et deux couches de peinture
sans autre procès, tandis que les demi-ailes et les empennages sont
simplement entoilés au film thermorétractable Oracover. On ne peut pas
faire plus rapide.
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Encore du carbone pour l'assise de l'aile
mais du tissu de verre ou une fine feuille de contre-plaqué fera
aussi bien l'affaire. |
Des micro-servos C341 Graupner de 1,5 kg de couple
manœuvrent les ailerons. Trois servos standard se chargent de commander
la profondeur, la dérive et l’éventuel crochet de remorquage. Un récepteur
tout à fait standard trouve aisément sa place à l’avant entre les servos
et la batterie de réception, en l’occurrence une 4,8 V 2200 mA Ni-MH.
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Le fuselage est bien plein mais conçu
autour d'éléments standard. Un servo pour le crochet trouve sa
place pour le vol remorqué. |
Commande d'aileron ultra courte. Des
petits servos entrent encore dans l'épaisseur de l'aile à l'endroit
de l'aileron. |
Attention compte tenu de la forme particulière de
l’aile, il faut pour trouver le point de centrage, déterminer la corde
moyenne, et seulement par rapport à celle-ci, appliquer le pourcentage
que l’on reporte ensuite sur la corde d’emplanture pour exécuter l’équilibrage.
Ce qui donne pour un centrage situé à 30% de la corde moyenne reporté
à l’emplanture : 18 mm du bord d’attaque (après essais en vol).
Les débattements des gouvernes sont les suivants :
- Dérive : + ou – 45 mm
- Profondeur : + ou – 12 mm
- Ailerons : haut 20 mm, bas 10 mm
- Aérofrein butterfly : haut 32 mm
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Le stabilisateur démontable
vient se fixer sur un support profilé collé sur la poutre.
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La dérive est actionné par un câble
aller-retour : fiabilité, précision et légèreté. |
Les premiers sauts de puces de l’Entoucas se sont
déroulés sur les pentes du magnifique pays auxerrois, sur un site bien
connu de mes amis originaires du quartier. Ce matin-là, arrivé à grand
renfort d’anti-brouillards à proximité du site, nous avons gravi avec
nos véhicules un chemin particulièrement accidenté où il aurait mieux
valu posséder un vrai 4x4. “Les gars, la prochaine fois, prévenez-moi
car j’ai failli y laisser mes bas de caisse”.
En arrivant au sommet, c’est une vue sur un véritable paysage lunaire
qui s’offre à nous. Des plaines agricoles immenses, encore noyées dans
la brume matinale. Le vent est faible et le soleil perce timidement
une nébulosité en sursis.
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Mes amis virevoltent déjà avec
leurs “coupons” de planeurs sortis tels quels de leur coffre de
voiture. Ça a du bon les mini-planeurs ! Pendant ce temps, je
m’affaire à l’assemblage de mon planeur flambant neuf dans l’herbe
humide de cette parcelle en friche, bordée de buissons sauvages
gorgés d’épines. J’effectue à l’œil les derniers contrôles des
gouvernes. On affinera après les premiers vols si nécessaire.
J’examine le ciel qui évolue progressivement vers un bleu dominant,
puis j’envoie d’un lancer franc et sans hésitation l’Entoucas
vers sa destinée. Il part plutôt bien, les commandes sont immédiatement
efficaces et exemptes d’inertie. Le premier virage à gauche engendre
une oscillation sur l’axe de lacet ! Je bascule vers la droite
et à nouveau je constate le même phénomène. Je prends de l’altitude
afin vérifier le centrage par le test du piqué à 30° d’inclinaison.
Pas de doute, il est un peu arrière. Qu’à cela ne tienne, l’Entoucas
vole et est parfaitement maîtrisable et je me surprends après
5 minutes de vol, à effectuer des passages au ras de la pente
sans aucune appréhension. Ce phénomène oscillatoire est sûrement
dû à la flèche inverse associée au gauchissement, le lacet inverse
y est donc pour quelque chose sans que cela soit dramatique.
De plus, ce phénomène est sûrement amplifié avec le centrage limite
arrière qui tend à diminuer l’amortissement dynamique de la dérive.
Ce qui confirme mes recherches en matière de stabilité de route,
mais pas dans les proportions désirées. Le planeur ne manque cependant
pas de volume de dérive. Un bon pilotage trois axes estompe pour
l’instant ce phénomène aérodynamique. |
Malgré ça, je prends déjà beaucoup de plaisir à sillonner
l’espace aérien. Pendant ce temps, le faible vent s’est renforcé et
a décidé de tourner à un point où la pente ne donne plus vraiment. Tous
les minis et autres lancés-main décident alors d’aller goûter à l’agressivité
épineuse de la végétation environnante. Mes compères aiment les activités
variées en jouant avec la nature, même si ça écorche un peu... Il n’y
a maintenant plus rien qui tient sur la pente. Grâce à son grand physique
de voilier, l’Entoucas avec ses 3,20 m de plume ratissant tout sur son
passage, se retrouve seul encore en l’air en accomplissant ainsi les
premières grattes de sa vie dans une dynamique peu coopérante. Je constate
un très faible taux de chute dans ces conditions piégeuses en parcourant
aisément un large espace aérien. Alors on ne se dégonfle pas et on va
chercher une zone positive en amont du vent, au-dessus de la plaine
qui commence à être bien ensoleillée. J’applique quelques crans de trim
piqueur. A vive allure, l’Entoucas transite en bouchonnant quelque peu.
La vitesse sur trajectoire n’est cependant pas très importante. Qu’est-ce
que vous voulez, à 27 g/dm² et un profil à 3% de courbure, ça ne peut
pas être fumant. En insistant encore un peu, le taux de chute commence
à être significatif. Je retrouve là le comportement caractéristique
de l’Eppler 205 de mes débuts d’apprenti modéliste.
Bref, au bout d’un bon moment de vol en campagne
et n’ayant rien trouvé, l’Entoucas n’est plus qu’un petit point
qui se déplace sur la ligne d’horizon, je décide donc de revenir
en local pente. Sur le chemin du retour, le vent faiblit progressivement.
Le piège se referme dans une descente au trou façon spéléologie
(doucement mais sûrement, sans rien y voir). Dans ce genre de
situation, on chope les robinets des waters ballast, on trime
pour un taux de chute mini et on commence à déchiffrer la topographie
qui défile sous le planeur car la finesse ne permettra pas de
rentrer. Pour un premier vol, ça commence bien ! Je grattouille
tant que je peux en essayant de revenir vers la pente. Et ô miracle
! Un truc tout minuscule est détecté par un battement d’aile typique
d’une zone favorable. La récompense d’une aile légère et à la
répartition des masses optimisées. Je centre, puis enroule un
truc petit suffisamment puissant me permettant d’effectuer une
mayonnaise trois axes facile à composer. L’Entoucas manifeste
un très bon caractère qui le hisse régulièrement jusqu’à la hauteur
de mes yeux. Fier de ma performance accomplie devant mes petits
camarades de jeu qui portent encore les douloureux stigmates d’une
périlleuse récupération, j’en joue et effectue quelques passages
à vive allure le long de la crête. Puis, je repars en transition
loin au dessus de l’immense plaine lunaire car il n’y a toujours
rien de bien positif près du relief. Le planeur part, part, part
loin à l’horizon. Je ne trouve rien malgré l’intense ensoleillement
qui réchauffe l’atmosphère. Je décide donc à nouveau de rentrer
en local. Sur l’itinéraire du retour, l’Entoucas descend inexorablement
vers le fond du trou. |
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C’est comme au Casino ; j’ai misé la totalité de mes
gains et j’ai tout perdu ! Sortez le foin, la “vache” n’est plus très
loin. J’ai donc droit à une marche forcée dans les champs boueux, baptisant
dans le même temps mes belles baskets. La prochaine fois, j’enfilerai
des bottes et j’éviterai de me prendre pour un caïd…
J’aurais aimé simplement ne pas être tout seul dans cette épreuve car
le chemin m’a paru interminable.
Après ces quelques heures de promenade et de solitude en rase campagne,
je suis de retour sur la pente avec mon planeur intact et mes baskets
lourdes comme des pompes de ski. Les amis se marrent encore et me narguent
en faisant virevolter leurs planeurs au-dessus de ma tête car le vent
est enfin revenu dans l’axe et est bien établi pour le restant de la
journée.
Optimisation
des réglages |
Check-list rapide de mon planeur, tout est Ok. J’en
profite à l’aide de quelques granulés de plomb pour réajuster plus avant
le centrage de 5 mm, ce qui donne en finale 18 mm du bord d’attaque,
soit 30% de la corde moyenne. Je relance et ça part toujours avec autant
de facilité. Je prends de l’altitude face au vent et j’entame une spirale
stabilisée. Je constate que cette fois-ci, l’Entoucas est parfaitement
neutre sur les trois axes sans aucune tendance à osciller en lacet.
Je peux même spiraler les yeux fermés tant les trajectoires sont définies
dans ces conditions de vent laminaire. Ça vire dans un mouchoir de poche,
comme prévu sur le bout d’aile. Pari réussi ! Vraiment pas méchant du
tout, ce nouveau jouet à gratter. Je fais n’importe quoi au ras du sol,
tutoyant les arbustes et les épineux buissons sauvages qui bordent la
zone de vol, tant le bon caractère de la bête fait oublier que le vol
reste une question d’équilibre. Ce qui surprend le plus, c’est la légèreté
et la vivacité de l’axe de roulis qui est dû à une très faible masse
en bout d’aile. On retrouve là tout l’intérêt de bien répartir les planches
de coffrage suivant leur masse pendant la construction.
Le lacet inverse est maintenant pratiquement inexistant en appliquant
le classique différentiel de 50%.
En transition, la distance franchissable est excellente, gage d’une
finesse honorable.
Son calage d’aile de 2,3° et son Vé longitudinal de 0,5° donnent à l’Entoucas
une aptitude à voler queue haute ainsi qu’une esthétique particulière
et plaisante.
Le taux de chute minimum du profil Eppler 205 est obtenu à Cz maximum.
En d’autres termes, quand tu veux monter, tire sur la profondeur !
Et en plus ça marche… D’autres profils n’ont pas forcément cette particularité,
alors n’en faites pas une généralité.
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Pour les journées “fumantes” vous pouvez prévoir l’emport
d’une gueuse de 400 g amenant la charge alaire à 34,5 g/dm², portant
la masse totale en ordre de vol à 1,900 kg. Ceci afin d’augmenter considérablement
la vitesse de transition sans trop altérer le taux de chute du planeur.
Dans ces conditions, le profil Eppler 205 donne aussi de bons résultats.
Je vous rappelle que ce profil a été au début des années 80 très utilisé
en F3B. Compte tenu de la conception mécanique de l’aile associée à
cette flèche inverse, il n’est pas conseillé de faire de survitesse
avec l’Entoucas sous peine de flûter dangereusement. Sinon en insistant,
vous allez assister au premier feu d’artifice dépourvu de système pyrotechnique.
De toute manière, la flexion de l’aile vous le rappellera avant d’en
arriver là. Le vol dos n’est pas très dangereux, mais le taux de chute
dans cette configuration n’a rien de passionnant. Le looping demande
une prise de vitesse préalable et passe très bien. Le renversement près
du relief est un exemple du genre, fiable et précis (peu de masse en
rotation). Le tonneau barrique un peu à l’attaque du troisième quart
de tour, mais c’est peut-être la faute du pilote peu expert dans ce
genre de figure sans une bonne surface latérale.
A l’atterrissage, que ce soit en pente ou en plaine, ça ne pose aucun
souci. Sécurisants, les aérofreins ailerons relevés permettent d’obtenir
une pente d’approche correcte et une vitesse sur trajectoire relativement
constante avec une compensation la profondeur de 2 mm à piqué.
Par vent fort, il paye les inconvénients des ses avantages. Tu connais
l’histoire du bouchon dans la tempête ?
De
la théorie à la pratique |
L’influence de la flèche inverse :
- En ligne droite et à vitesse constante, non piloté, l’amortissement
longitudinal dynamique est bien maîtrisé. Le vol aux grands angles tend
à effacer cet amortissement et à presque s’inverser au fur et à mesure
que la vitesse décroît et se rapproche du point de décrochage. Jusqu’à
un stade où l’Entoucas s’enfonce sans vraiment décrocher.
- En spirale stabilisée, le centre de poussée de l’aile extérieure voit
son Cz augmenter, engendrant un léger couple cabreur dû à la position
relativement avant du saumon vis-à-vis du centre de gravité. Plus la
spirale sera serrée, plus le planeur aura de lui-même tendance à vouloir
augmenter son incidence de vol. Cela reste dans une proportion très
faible mais perceptible. On peut donc en déduire qu’il y aura moins
de traînée de la gouverne de profondeur en l’absence de la nécessité
d’un braquage important de celle-ci pour équilibrer les forces.
Apprès une dizaine de séances de vol, la théorie de la flèche inverse
me semble porter ses fruits. Le pilotage de ce planeur correspond exactement
à ce que je recherchais.
Après de telles constatations dues à la particularité de cette géométrie
d’aile, et curieux comme je suis, je me suis permis l’été dernier d’aller
traîner sur les terrains de vol à voile pour confirmer mes hypothèses.
Résultat, les pilotes instructeurs d’une dizaine de clubs du Sud-ouest
m’ont laissé sur ma faim en m’annonçant qu’ils ne ressentaient pas de
différence de comportement entre une voilure droite d’un ASH 25
ou en flèche inverse d’un Nimbus 4D. Ni même qu’un ASK13 face à un Bijave.
J’ai été très vexé et très déçu... Ils ont dû me prendre pour un illuminé
avec mes petits avions et mes questions qui avaient l’air de bien les
embarrasser, eux qui volent avec les fesses dans leur planeur.
Vous aller me dire qu’on ne travaille pas avec le même nombre de Reynolds.
C’est vrai, mais les effets aérodynamiques résultants devraient êtres
eux tout aussi perceptibles. Le débat est ouvert.
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Ailerons relevés, ça réduit considérablement la distance
pendant la descente qui précède l'atterrissage. |
Voilà donc un planeur très intéressant pour voler
dans du rien du tout. De taille respectable, l’Entoucas sera bien plus
efficace qu’un lancé-main pour tester l’aérologie à grande échelle,
que ce soit en plaine ou en pente.
Grâce à ses profils Eppler 205 évoluant en Ritz 2.30.10, certes anciens
mais ô combien adaptés pour le domaine visé, le pilotage de l’Entoucas
est extra facile. Il vire dans un mouchoir de poche sur le bout d’aile
en restant parfaitement tolérant sur les trois axes. Quant au décrochage,
il est presque imperceptible, se traduisant par un enfoncement sur trajectoire
avec une vitesse ridicule. Du pur bonheur j’vous dis !
La réalisation de l’Entoucas est “en tout cas” l’occasion de tester
toutes les techniques de construction actuelle. Chaque procédé pour
chaque spécification mécanique : monocoque poutre en composite, aile
à noyau coffré et empennages en structure conventionnelle. Ce qui lui
confère à la fois une très bonne répartition des masses garantissant
une très faible inertie sur les trois axes, sans compromettre une résistance
mécanique optimisée. Ça vole dans la “pétole” jusqu’à la tombée de la
nuit. Un planeur à consommer sans modération, ne rentrant pas dans la
classification des débits de boissons et sans supplément passé 22 h
00.
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Le plan de l'Entoucas est téléchargeable échelle 1 (Format
PDF. 5,5 Mo). Il mesure 170x70 cm. Clic droit sur l'image puis "enregistrer
la cible du lien sous...". |
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Pour ceux qui n'ont pas de tireur de plans à proximité,
le plan peut-être imprimé à la maison à partir de ces 27 feuilles
A4 à assembler (Format PDF. 1,9 Mo). |
L'Entoucas vole toujours régulièrement depuis 2004
(déjà). Il a eu droit à une révision complète et à un réentoilage
avec une nouvelle déco en 2011. |
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Contact : daniel.villa@jivaro-models.org