Après avoir construit un Piper
Cub de chez Toni Clark, qui, comme remorqueur, se pose
et redécolle sans cesse et qui a maintenant plus de 300
litres de carburant à son actif en 6 ans de bons et loyaux
services, je me demandais ce que je pourrais bien entamer
comme construction pour occuper mes quelques loisirs et
mon atelier.
J'avais envie de me lancer dans une construction
entièrement "scrath build", depuis la recherche
de documentation, le dessin des plans en réfléchissant
à la structure pour faire léger sans être trop fragile...
et finir par voir son œuvre s'envoler.
Mais que choisir ?
Par amour pour Amelia Earhart, j'avais
bien envie de faire le Lockheed Electra avec lequel elle
a disparu à tout jamais dans le Pacifique. Mais c'était
beaucoup de travail pour me retrouver avec un avion...
normal. Je ne sais pas si vous le savez, mais je suis
un fou du vol lent. Et j'avais envie de faire une belle
structure en bois et donc de la laisser visible.
Structure en bois visible, vol lent...
On se tourne clairement vers les débuts de l'aviation.
Après moultes recherches (merci Internet)
et hésitations, il restait le planeur d'initiation SG-38
utilisé en Allemagne jusqu'en 1945 pour la formation des
futurs pilotes de la Luftwaffe, et un chasseur anglais
de 1915, le De Havilland DH-2.
Le premier est une belle structure apparente,
mais c'est un planeur. Il faut se faire remorquer et l'essentiel
du vol se passe loin de soi. Comme pour le Lockheed Electra,
je ne voyais pas bien l'utilisation de l'avion après la
construction.
Reste donc le De Havilland DH-2 dont
voici un petit historique :
Le prototype, effectua
son premier vol le 1er juin 1915.
C'était le premier "vrai" chasseur, un
avion dont le seul but était de s'attaquer aux autres
avions.
Contrairement aux avis de l'état major, les pilotes
comprirent rapidement que l’utilisation d’une arme
fixe tirant dans l’axe de l’appareil était plus
efficace que la manipulation d’une arme mobile,
Dès sa mise en service il se révéla un adversaire
redoutable pour les monoplans Fokker, brisant la
suprématie aérienne acquise par l’Allemagne à l’automne
1915. C’était une machine très sensible aux commandes,
terrifiant certains pilotes peu entraînés, ce qui
lui valut le surnom de "Spinning Incinerator"
(Incinérateur en vrille), mais après une bonne prise
en main, il se révélait juste très maniable et assez
facile à piloter.
Côté construction modèle réduit,
il présente de nombreux avantages : les deux plans
sont semblables et exactement situés à la verticale
l'un de l'autre, il n'y a pas de flèche, voilà qui
va faciliter le positionnement du centre de gravité.
Reste la question de l'échelle donc de la taille
finale.
Deux facteurs principaux : la motorisation
envisagée et... la taille de ma voiture.
L'original faisait 8,61 m d'envergure. Au 1/3 cela
nous fait donc 2,87 m, c'est grand pour un biplan
mais on reste dans la taille de mon ancien Sopwith
Pup.
C'est cet avion qui va me servir de référence
en matière de rapport poids - envergure - surface portante
- trainée - motorisation.
La motorisation prévue est le Zenoah
38 cc réducté dans un rapport 2,8/1. Cela fait tourner
une hélice de 32"x18" à 2000 T/mn. Cela
tombe bien, cette hélice est parfaitement "maquette"
de par sa taille.
En raison de la position de l'hélice
"au milieu" du fuselage, tous les câbles de
commande de la profondeur et de la dérive doivent passer
loin à l'extérieur de celui-ci, par des poulies sur les
premiers montants entre les ailes. Pour ne pas avoir trop
de travail au montage sur le terrain, je décide donc de
laisser cette partie centrale des ailes solidaires du
fuselage, et de les faire démontables au delà de ces montants.
Cela nous fait une largeur de 1,02 m, c'est justement
la largeur maximale qui peut rentrer dans la voiture.
Reste un problème : la motorisation est
"propulsive", il faut une hélice à pas inversé
et, dans cette taille, cela n'existe pas, sauf à se la
faire faire sur mesure.
La solution : retourner le moteur par
rapport à l'axe du réducteur, cela inverse le sens de
rotation de l'hélice (maintenant elle pousse au lieu de
tirer, parfait) et cela avance la masse du moteur de quelques
10 cm, facteur très important pour le centrage, dont je
reparlerai plus tard.
Décision est donc prise et la construction
peut commencer. La structure du fuselage est faite en
baguettes d'okoumé pour reprendre les efforts des ailes,
du moteur et du train d'atterrissage. La rigidité de l'ensemble
moteur - réducteur est particulièrement soignée par deux
plaques de contre-plaqué aviation de 6 mm complètement
triangulées.
Pour la structure des ailes, deux longerons
faits de deux carrés de pin 5x5 reliés par des âmes en
contre-plaqué 1 mm, et des nervures classiques mais très
ajourées découpées à la fraiseuse numérique dans du contre-plaqué
de bouleau, par mon ami Marc.
Les "ferrures" de liaison entre
les longerons, les haubans et les tubes des poutres arrières
sont découpées dans de la tôle de laiton à la fraiseuse
numérique, par mon ami Jacques.
Une petite parenthèse, pour dire à une
machine numérique ce qu'elle doit découper comme pièce,
il faut utiliser un langage qu'elle comprend, du .dxf
. Comme je n'était pas très doué en cette matière, j'ai
été suivre une semaine de formation sur Au**cad, très
utile pour dessiner de belles nervures courbes (j'ai gardé
le profil du grand !) puis y faire des trous.
Ce programme possède une fonction utile,
il permet de dessiner (de manière vectorielle, le fichier
final n'est pas une image, mais un ensemble de chiffres)
en superposant votre dessin à une "vraie" image
(type .jpg). On peut donc se baser sur le dessin 3 vues
pour les formes générales et sur le profil pour dessiner
précisément les nervures.
Les principes mécaniques du train (qui
sur un avion de ce poids DOIT être amorti) sont copiés
sur celui du Sopwith Pup (un kit Toni Clark encore). Beaucoup
de travail de brasure à l'argent avec un chalumeau acétylène-oxygène,
mais le résultat devrait tenir.
On dessine, on calcule, on découpe, on
assemble, ce qui me permets de présenter à l'expo de Wavre
la partie centrale, non encore entoilée.
Comme il parait que j'ai un peu plus
de temps libre que certains de mes petits camarades, je
suis "réquisitionné" pour la construction d'un
remorqueur. Un pur avion utilitaire, on copie donc les
formes extérieures du "Bidule" et on fait une
belle structure un peu plus lourde que l'original mais
bien plus solide.
Au vu du résultat, un autre de mes camarades,
m'en demande un autre, mais il préfère des ailes en mousse
coffrée, ce qu'il confie à un autre constructeur, mieux
équipé et plus compétent que moi en cette matière.
Tout cela, et quelques autres activités,
pour justifier un trou de presque une année dans la construction
de mon DH-2.
Je m'y remets donc, on ré-attaque par
les saumons particuliers des ailes, selon ma méthode préférée
du lamellé-collé.
Un beau jour au terrain me permet d'essayer
le groupe moto propulseur dans le fuselage... Aïe !
Un moteur "à explosion" donne
son temps moteur pendant une partie seulement de sa rotation.
Dans un entraînement direct de l'hélice, cela donne tout
au plus des vibrations selon un couple de rotation. Dans
le cas d'une réduction par courroie, cela donne une traction
sur l'axe secondaire, transmise de manière cyclique, par
cette courroie.
Bref, cela vibre beaucoup.
- Cette belle mais fragile structure
risque beaucoup de ne pas aimer ces vibrations.
- Même un peu avancé, le poids du moteur
"au milieu" va m'obliger à mettre +/- 2 kg de
lest dans le nez (le grand était équilibré par le poids
du pilote).
- Cela ne va pas être simple d'aller
lancer l'hélice (à la main ou au démarreur) "au milieu"
de cette légère mais fragile structure.
Ces trois éléments commencent à me faire
réfléchir à une autre solution de motorisation. Je ne
suis pas un fanatique de l'électrique, mais il faut bien
avouer que dans ce cas, ce serait une solution aux trois
problèmes évoqués ci-dessus.
On passe donc à l'électricité... et pour
me conseiller, qui de plus qualifié que le "pape
de l'électrique" : Laurent Schmitz, auteur de nombreux
articles fort biens faits sur ce même site.
Je lui donne donc toutes les caractéristiques
de l'avion et il me calcule la motorisation idéale, moteur,
hélice, variateur et accus. Le poids total est le même
que la version thermique, mais le fait de pouvoir diviser
(moteur à l'arrière et accus à l'avant) me fait gagner
au moins deux kilos.
Cette option choisie, on continue la
construction, entre toutes les commandes qui sont à câbles
"pull-pull" et toute la structure qui n'est
rigide que par ses haubans, il y a plus de 80 m de fil
d'acier gainé. Je vous laisse imaginer le nombre de ridoirs
et de sertissages.
Entoilage, deux rouleaux complets de
Solartex, et on peut procéder au remontage final. Le réglage
fin de tous les haubans pour ajuster les angles d'incidence
et les dièdres est une opération délicate, et il faut
ensuite immobiliser tous ces ridoirs pour que cette géométrie
ne change pas en cours de vol.
Et voilà, il est terminé ... Evidemment
c'est un avion fait pour voler par vent très faible, et
pour un premier vol, je préfèrerai pas de vent du tout.
Malheureusement, depuis plus d'un mois, chaque week-end,
c'est la tempête ou le déluge.(nous sommes début janvier
2013). Il attend donc patiemment sous une bâche dans l'atelier...
Et j'ai commencé le suivant...
(Mise à jour du
23 avril 2013)
Cette attente a finalement duré plusieurs
mois (normal, c'était l'hiver), mais ce dimanche toute
les conditions étaient réunies.
Tout est rentré dans la voiture (un exploit
!) et il est remonté sur le terrain. Si le simple montage
est assez facile de par les options de construction, j'effectue
une vérification approfondie de tous les haubans et fixations.
Les nombreux ridoirs, en particuliers, doivent tous être
verrouillés par un petit bout de fil métallique. Lors
d'un précédent transport, vers une exposition, tous les
ridoirs qui n'étaient pas verrouillés s'étaient desserrés
et certains détachés, simplement par les quelques vibrations
de la voiture. Imaginez alors les vibrations et les tensions
en vol !
Et comme chaque hauban a une utilité
dans la géométrie générale, toute rupture conduirait irrémédiablement
au crash. Notez que tous ceux qui travaillent en G positifs
(les "flying wires") sont quand même doublés.
Premier décollage : Mis à part un fort
couple à piquer au roulage, dès la mise 100% des gaz,
normal vu la position de l'hélice, pas de mauvaise surprise.
Une fois en vol, il est, comme je l'espérais,
lent et majestueux, le fou du vol lent est heureux.
Je sais que c'est normal vu sa forme
et tous ses haubans, mais quelle traînée ! Pour le premier
atterrissage, j'arrive au dessus de la piste avec encore
3-4 m de hauteur, je coupe le moteur et le force le nez
vers le bas pour garder de la vitesse. cela n'accélère
presque pas malgré une pente importante et, dès que je
commence à tirer pour arrondir, il freine encore plus
et s'enfonce, heureusement il ne restait que 10 cm, mais
je pensais aller plus loin.
Comme on dit dans les revues "gardez
un filet de gaz". Ici il faut garder un gros filet
!
Côté consommation, Les calculs de Laurent
Schmitz étaient parfaits. Posé à 5 minutes juste, après
un vol composé d'une série de circuits, la consommation
a été de 2200 mAh.
Mes accus sont des 6 Ah, il avait prévu
8 min avec une petite sécurité ...
La vidéo de ce premier
vol.
Comme il y a dédoublement de personnalité
entre le pilote à bord et le pilote à la radio, je peux
vous dire que les deux sont très heureux...